Réunion du 21/09/2010

 

16 septembre 1913, Detlof von Winterfeld blessé à Grisolles

 

La période d’avant 1914 est une période troublée, marquée par de nombreuses tensions internationales elles-mêmes sous tendues par de sourdes luttes économiques et politiques.

Depuis 1900 environ, des incidents graves et des guerres localisées entretiennent un climat d’inquiétude qui font déjà entrevoir la Grande Guerre. Cette fièvre et la sensation d’un conflit imminent déclenche une course aux armements qui s'exaspère en 1913.

Dans ce contexte, chaque nation essaie de témoigner de la puissance de ses armées.

La France, en septembre, organise dans le Sud Ouest et pour une période d’un mois les "Grandes Manœuvres", à la fois entraînement des troupes mais surtout démonstration de force militaire destinée aux éventuels belligérants dont certains ambassadeurs ont été aimablement invités. Le président Poincaré, les généraux Joffre et De Castelnau, viennent marquer de leur présence cette grande manifestation: visite du camp d’aviation de Saint Cyprien, de la grosse artillerie à l’Isle-Jourdain où on expérimente le nouveau système de batterie à tracteurs automobile pour faciliter le déplacement et résoudre le problème des chevaux d’artillerie, simulations de combats grandeur nature.

Sur les collines de Gascogne vont ainsi s’affronter les partis bleu et rouge. Le "Parti bleu", venu de l’ouest, est dirigé par le général Pau qui commande depuis son QG d’Agen 4 divisions d’infanterie (aux effectifs issus de Limoges et Bordeaux) et une division d’infanterie coloniale. A l’opposé, le "parti rouge" dirigé par le général Chomer dont le quartier général est à Toulouse, est fort de 4 divisions d’infanterie (originaires de Montpellier et Toulouse), une de cavalerie et d’un groupe d’artillerie lourde. Chaque camp se voit doté d’un dirigeable et de 3 escadrilles de six avions. De nouvelles expériences de télégraphie sans fil en vol sont prévues à bord des avions qui, réglementairement depuis le mois de juillet 1913, portent les premières cocardes tricolores sous les ailes.

L’énoncé de l’ordre de bataille témoigne assez peu de l’importance de l’évènement. Ce ne sont pas moins de cent mille hommes qui vont se déplacer dans les collines du Gers, mettant en branle une logistique énorme qui fait exploser le trafic ferroviaire. Trente bœufs par jour sont abattus pour nourrir un seul des quatre corps d’armées que comportent ces manœuvres…


Le Président de la République, Monsieur Poincaré, arrive à Toulouse pour assister aux opérations.

Le 16 septembre il est accueilli à l’Isle-Jourdain par le Général Joffre.

Un commandant du 20° régiment d'infanterie qui accompagne les officiers étrangers, arrive au même moment et annonce au président qui l'écoute avec attention, qu'une auto transportant les attachés militaires étrangers vient de culbuter dans un remblai près de Grisolles. L'officier allemand a été blessé, l'officier grec et le commandant Dupont qui les accompagnait, légèrement contusionnés.

M. Poincaré, qui semble très préoccupé par cette nouvelle, annonce qu'il va visiter les blessés à Grisolles.

 

L’accident.

 

Ce matin, à 7 heures et demie, le général grec Danglis, le général danois Krabbe, le colonel

espagnol de Rivas, le lieutenant-colonel allemand von Winterfeld, accompagnés du lieutenant-colonel Dupont, se rendaient en automobile sur le terrain des manœuvres. Avant d'arriver à Grisolles, au lieu-dit « Pont de la Pointe », le chauffeur, voulant éviter une charrette, a tourné brusquement et freiné trop fort. Un pneu a éclaté et la voiture, qui marchait à une allure modérée, s'est renversée lentement. Si elle n'avait été retenue par deux poteaux télégraphiques et un petit platane, elle serait tombée au bas du talus, haut de quatre mètres environ.

L'officier allemand, voyant le danger, a sauté, mais il a été pris sous le lourd véhicule.

Les autres officiers n'ont reçu que des contusions sans gravité : le général Danglis a été légèrement éraflé à la tête et le lieutenant-colonel Dupont a eu les mains écorchées.

Les voyageurs n'ont pas perdu leur sang-froid ; avec l'aide de MM. Saucé, Escudié et Granet, propriétaires à Grisolles, ils ont relevé aussitôt l'automobile et dégagé le délégué allemand, le lieutenant-colonel von Winterfeld, qui est grièvement blessé.

 

Le docteur Voivenel, de Toulouse, aide-major réserviste, naturellement mobilisé pour cette période de manœuvres et affecté au Service Médical de l'État Major du Général Joffre, est appelé sur les lieux. Il effectue les premiers soins. Vu la gravité de la situation, un "médecin cinq galons" est rapidement dépêché en renfort sur les lieux et décide d’une évacuation sur l’hôpital militaire Larrey. L’état du patient est critique malgré les injections itératives de caféine et d’huile camphrée. Voivenel, resté seul auprès du malade et voyant que ce dernier ne pourrait supporter ce long voyage, décide alors de désobéir aux ordres: il réquisitionne une automobile, le fait transporter dans la bourgade la plus proche, le village de Grisolles, au domicile de M. Massot, propriétaire. Des gendarmes ont été placés aux deux bouts de la rue dans laquelle se trouve le blessé et invitent les automobiles à ne pas stationner près de la maison du malade, afin que le bruit des moteurs ne trouble pas son repos.

Plusieurs officiers étrangers sont revenus du terrain des manœuvres pour prendre des nouvelles de leur collègue.

Le blessé a manifesté ses regrets du dérangement causé à M. Massot. Il a dicté et signé lui-même la dépêche qu'il a adressée à sa femme.

 

A son arrivée à Grisolles, le président Poincarré reçoit, à la gare, les souhaits de bienvenue du maire et de M. Frayssinet, député, puis, sans prendre le temps de se faire enlever la poussière dont il est couvert, il va rendre visite à l'attaché militaire allemand.

Au moment où M. Poincaré pénètre avec M. Etienne, ministre de la guerre, dans la maison où est soigné l'attaché allemand, en sortent plusieurs attachés militaires venus prendre des nouvelles de leur collègue. M. Poincaré ainsi que M. Etienne leur serrent la main ; ils sont introduits immédiatement auprès du blessé.

Le major est couché dans une chambre obscure et paraît aussi bien que possible ; le médecin-

major se tient à son chevet ; on entrouvre la fenêtre pour donner un peu de clarté.

M. Poincaré s'approche du lit et serre la main du major ; il lui dit combien il regrette l'accident. Le blessé remercie et ajoute : « Je me sens mieux, je suis d'ailleurs très bien soigné.»

Afin de ne pas fatiguer le blessé, M. Poincaré écourte sa visite et se retire ; il gagne la gare de Grisolles où il monte «dans son wagon ».

Le train présidentiel est dirigé sur une voie de garage où il restera jusqu'à demain.

M, Poincaré va passer la fin de l'après-midi dans son wagon à travailler. Il fait prendre à plusieurs reprises dans la nuit et au matin, des nouvelles du major Winterfeld.

Ces nouvelles ne sont pas aussi bonnes qu'on l'espérait tout d'abord.

Voivenel appelle son ami, le Docteur Roy, chirurgien de l'hôpital Larrey. L'urgence de l'opération est évidente: fracture du bassin avec éclatement de l'urètre.

Le mécanisme officiel se déclenche car l’affaire prend de l’ampleur et un tour politique. En effet, von Winterfeld, attaché d’ambassade à Paris, de milieu aristocratique, avait été chargé personnellement par le ministre de la guerre, le baron Schoen, d’un rapport sur les forces françaises.

La situation est donc délicate: si la nécessité d’une opération rapide ne fait aucun doute, encore faut-il prendre toutes les précautions pour éviter un incident diplomatique en cas d’issue fatale.

On requiert l’avis des Directeurs du service de santé des XVII° et XVIII° régions sans lesquels aucune décision ne peut être prise. Le temps presse et c'est finalement von Winterfeld lui-même qui décide de l'opération qui sera orchestrée par Roy et Voivenel: "Je m’en remets à votre habileté. J’ai toute confiance en vous deux... ". Le 17 septembre à midi, Roy débute l'intervention qui se passe sans problèmes. Le blessé reste cinquante minutes sous chloroforme.

 

L’incident fait grand bruit et attire nombre de visiteurs. Des bulletins quotidiens de santé sont communiqués aux nombreux journalistes accourus pour couvrir l'événement.

Après de longs mois de convalescence, émaillés de complications diverses, von Winterfeld se remet progressivement. En décembre 1913, Voivenel et Roy se voient récompensés de leurs soins par la nation française: Roy est promu officier de la légion d’Honneur et Voivenel chevalier. Puis c’est le prince d’Oettingen Walerstein, secrétaire d’ambassade à Paris, qui vient leur remettre personnellement, au nom de l’Empereur Guillaume, la plus haute distinction prussienne, la cravate de commandeur de la couronne de Prusse (qui est encore conservée au Musée du Vieux Toulouse).

Ce n’est qu’au début de l’été 1914 que von Winterfeld quitte définitivement le Midi de la France. Il vient d’être nommé chef de division au Grand État Major. La situation est grave: l’archiduc d’Autriche-Hongrie, François Ferdinand, vient d’être assassiné le 28 juin et toutes les grandes nations se mobilisent.

Le 3 août, l’Allemagne déclare la guerre à la France......

 

C’est ce même Detlof von Winterfeld qui, quelques années plus tard,  promu au grade de général, sera un de ceux qui signeront l’armistice le 11 novembre 1918 à Rethonde.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sources :

- L’Express du Midi.

- Thèse pour le diplôme d’Etat de docteur en médecine soutenue le 20 mai 1998 par Mme Cécile LESTRADE, intitulée : « Un médecin et son époque : vie et œuvre du docteur Paul VOIVENEL (1880 – 1975) ».